Ajouté le 10 janv. 2005
Le silence du temps ^
Vous regardez les dernières toiles de Livia Alessandrini et ce qui les rend si reconnaissables et qui vous frappe en premier c'est sa technique originale (résultat d'années de recherche et de perfectionnement). Celle-ci se caractérise par la consistance de la matière, longuement travaillée, où se pose "un méticuleux et attentif dessin pictural au pinceau ou à la spatule pour faire sortir les ombres et les formes", comme elle le dit elle-même. Mais chez Livia Alessandrini la forme et la matière sont indissociables, l'une paraissant l'intérieur de l'autre. Voilà ce qui vous arrive lorsque vous cherchez à vous concentrer sur la forme: c'est tout d'abord le silence. Un silence vous enveloppe, profond, absolu, et lentement vous vous plongez dans les éléments, les éléments froids, et vous participez avec l'eau, surtout, et avec la pierre ; et la matière, 'bachelardiennement', provoque en vous la rêverie. Tout à coup, vous voyez le sens d'une peinture qui creuse le fond de l'être, qui saisit les moments les plus élevés de la conscience humaine, les instants rares où le côté divin de l'homme et son extrême fragilité se touchent et où l'homme même - le peintre, le personnage représenté et vous-mêmes qui observez - en a une révélation. Et vous vous perdez alors dans les labyrinthes des symboles, de la matière et de vos réflexions qu'ils ont provoquées. Cet homme, élaborant tout seul les labyrinthes dans lesquels il va sans doute se perdre, vous reflète, précairement suspendus au fil du dédale de vos constructions mentales, sur un fond de dense matière cérébrale. La puissance et la fragilité coïncident. C'est le temps qui fait la différence. Il s'abîme dans la série des Seigneurs du temps, créant des profondeurs physiques et métaphysiques vertigineuses qui vous absorbent complètement. Ou bien il se manifeste ironiquement par les ruines des superbes architectures humaines, encore labyrinthiques, un peu borgésiennes, et de l'homme qui s'y est incorporé de manière symbiotique (l'homme cherche en vain à s'opposer au temps par une prolificité d'œufs flottants, volants, surtout désacralisants, qui ne peuvent que couler d'eux-mêmes, irrémédiablement, dans le vertige temporel). Mais il y a aussi le temps de la mémoire qui imprègne la série des Archéologies, où dans la coexistence d'éléments architecturaux gréco-romains, orientaux, mais aussi nordiques, se révèlent des fragments autobiographiques d'un peintre à la culture si composite (ayant vécu au Liban, en Grèce, en France, en Espagne, en Italie et évidemment en Suisse, à Berne, à Montreux, où sa famille, creuset de sangs divers, se réunissait toujours).
Tout cela n'est que suggéré, jamais tapageusement exhibé; Livia Alessandrini laisse la possibilité de lectures personnelles, de diverses interprétations de son œuvre.
Chetro De Carolis - Roma 2003